Cuba: retour migratoire

Édité par Francisco Rodríguez Aranega
2017-08-04 12:46:28

Pinterest
Telegram
Linkedin
WhatsApp

Salim Lamrani

Université de La Réunion

 

Connue pour être une terre d’émigration, Cuba observe depuis plusieurs années un nouveau phénomène : celui du retour migratoire.

 

 Depuis le triomphe de la Révolution cubaine en 1959, les États-Unis ont fait de la problématique migratoire un instrument de déstabilisation de l’île, au nom de la guerre menée contre le premier pays socialiste du continent latino-américain. Ainsi, dès les premiers jours suivant la victoire de Fidel Castro, Washington a ouvert ses portes aux partisans de la dictature de Fulgencio Batista et à l’oligarchie de l’ancien régime. De 1960 à 1969, plus de 200 000 Cubains ont émigré vers les États-Unis. A titre de comparaison, le total de la décennie précédente, de 1950 à 1959, s’élevait à 73 000 départs vers les États-Unis[1].

Trois raisons expliquent cette émigration massive. Tout d’abord, historiquement, Cuba a toujours été un pays à forte émission migratoire vers le Voisin du Nord. En 1959, Cuba occupait le deuxième rang du continent américain juste derrière le Mexique. Cuba émettait une émigration plus forte que celle de tous les pays des Caraïbes réunis et que celle de toutes les nations d’Amérique centrale prises dans leur ensemble. De la même manière, aucun pays d’Amérique du Sud, ni le Brésil, ni la Colombie, ni l’Argentine n’avait une émission migratoire supérieure à celle de Cuba. Plus encore, la somme migratoire de ces trois mastodontes démographiques restait inférieure à celle de Cuba[2].

Le deuxième facteur qui a favorisé l’émigration cubaine vers les États-Unis à partir de 1960 a été l’application de sanctions économiques sévères contre l’île dès juillet 1960, lesquelles sont devenues totales en février 1962. Elles ont imposé des conditions de vie drastiques aux Cubains et des pénuries de toutes sortes, stimulant ainsi le départ vers les États-Unis. Toujours en vigueur à ce jour, elles affectent toutes les catégories de la population cubaine, surtout les segments les plus vulnérables, ainsi que tous les secteurs de la société. Rejetées par la communauté internationale pour leur caractère anachronique, cruel et illégal, les sanctions constituent le principal obstacle au développement du pays. En 2016, pour la 25ème année consécutive, l’Assemblée générale des Nations unies a condamné l’état de siège économique contre Cuba à une majorité écrasante de 191 voix sur 193[3].

Le troisième paramètre à prendre en compte est la loi d’Ajustement cubain en vigueur depuis 1966. Cette législation spéciale, unique au monde, stipule que tout Cubain qui émigre légalement ou illégalement vers les États-Unis, pacifiquement ou par des moyens violents, le 1er janvier 1959 ou après, est accueilli à bras ouverts, reçoit diverses aides sociales et obtient automatiquement au bout d’un an et un jour le statut de résident permanent. A l’évidence, il s’agit là d’un formidable outil d’incitation à l’émigration légale et illégale[4].

En décembre 2014, le Président Barack Obama a décidé d’établir un dialogue avec Cuba afin de tenter de résoudre par des voies pacifiques le différend qui oppose Washington à La Havane depuis plus d’un demi-siècle. Plusieurs mesures constructives ont été adoptées telles que, entre autres, l’ouverture d’ambassades dans les capitales respectives, la levée de certaines restrictions concernant le commerce (même si elle reste très limitée), la reprise des liaisons aériennes et maritimes directes entre les deux pays et la signature d’un accord migratoire entre Cuba et les États-Unis en janvier 2017 qui met fin à la politique de «pieds secs/pieds mouillés » – selon laquelle les Cubains qui arrivent à traverser le Détroit de Floride et à toucher le sol étasunien sont automatiquement acceptés –, ainsi qu’au Programme médical cubain, en vigueur depuis 2006 et destiné à inciter le personnel médical cubain en mission à l’étranger à déserter pour s’installer aux États-Unis, pillant ainsi un précieux capital humain[5].

Ces mesures, ajoutées à la stabilité politique, à l’amélioration de la situation économique à Cuba et à la réforme migratoire cubaine du décret-loi 302 de 2013 qui a éliminé les obstacles bureaucratiques concernant les voyages, ont incité de nombreux Cubains installés à l’étranger à rentrer définitivement dans leur pays natal et ont considérablement réduit le nombre de sorties définitives. Ainsi, en 2016, près de 14 000 Cubains installés à l’étranger ont décidé de rentrer définitivement dans leur pays d’origine, soit un chiffre supérieur au total des années 2013 à 2015, ce qui représente une hausse de 300% en quatre ans[6]. Par ailleurs, pour les années 2013-2016, le solde migratoire total, entre les entrées composées de Cubains et d’étrangers qui ont décidé de vivre à Cuba et les sorties, est de 36 000, soit un total de 9 000 départs secs par an. S’il reste négatif, ce solde a été divisé par quatre par rapport à 2012 où ce chiffre était d’environ de 35 000 sorties par an. De 2013 à 2016, plus de 670 000 Cubains ont réalisé au moins un voyage à l’étranger. Pour 78% d’entre eux, il s’agissait de leur premier voyage. Seuls 9% ont choisi de s’installer à l’étranger[7].

Ces chiffres illustrent la réalité de la problématique migratoire cubaine. En effet, l’immense majorité de l’émigration cubaine est d’ordre économique et non politique. Celle-ci aspire à entretenir des relations normales et apaisées avec sa patrie d’origine. De la même manière, ils illustrent que malgré les difficultés et vicissitudes quotidiennes inhérentes à un pays sous-développé et victime de sanctions économiques, les Cubains, en majorité, restent attachés à leur pays et à leur modèle de société qui offre à la population, et surtout aux plus vulnérables, les conditions d’une vie digne et épanouie grâce à un accès universel aux biens de première nécessité, à l’éducation, aux soins et à la culture ainsi que la sécurité et le bien-être.

 

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

 



Commentaires


Laissez un commentaire
Tous les champs sont requis
Votre commentaire ne sera pas publié
captcha challenge
up