Cuba : Barack Obama a sans doute pris la décision la plus emblématique de ses deux mandats et a réparé une anomalie d’un autre temps

Édité par Tania Hernández
2014-12-19 14:36:05

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Par Salim Lamrani*

Tiré d'Opera Mundi

La Havane et Washington viennent d’ouvrir une nouvelle ère de rapprochement avec les libérations respectives d’Alan Gross et de trois Cubains.

          

Plus d’un demi-siècle après la rupture des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis survenue le 3 janvier 1961, les deux gouvernements ont annoncé la mise en place d’un processus de normalisation des rapports bilatéraux. La Havane et Washington ont répondu favorablement à une demande du Pape François qui les avait exhortés à mettre de côté leurs différends d’un autre temps et à rétablir les liens entre les peuples étasunien et cubain. Les contacts entre les deux parties ont été facilités par le Vatican et le Canada qui ont offert aux délégations la discrétion nécessaire tout au long d’un processus de dialogue qui a duré près de 18 mois.

 

Echange de prisonniers

 

            Après plusieurs mois de négociations secrètes, Cuba et les Etats-Unis sont parvenus à un accord historique sur un échange de prisonniers qui ouvre la voie à la pleine normalisation des relations entre les deux nations. La Havane a ainsi décidé de libérer Alan Gross, agent étasunien incarcéré depuis décembre 2009 et condamné à 15 ans de prison – pour avoir fourni une aide matérielle à différents secteurs de l’opposition cubaine dans le cadre d’un programme du Département d’Etat des Etats-Unis destiné à obtenir un changement de régime dans l’île. De la même manière, Cuba a procédé à la libération d’un autre agent étasunien au nom de Rolando Sarraff Trujillo qui était incarcéré depuis près d’une vingtaine d’années, ainsi qu’une cinquantaine de détenus.

De son côté, Washington a procédé à la libération de trois agents cubains, Antonio Guerrero, Ramón Labañino et Gerardo Hernández, qui purgeaient depuis 1998 des peines allant jusqu’à la prison à vie, et ce pour avoir infiltré les groupuscules de l’exil cubain impliqués dans les attentats terroristes contre Cuba. Les détails de cet échange ont été finalisés lors d’un entretien téléphonique historique de 45 minutes – le premier contact officiel entre les présidents cubain et étasunien depuis 1959 – le 16 décembre 2014. Par ces gestes respectifs, Raúl Castro et Barack Obama ont levé le principal obstacle à l’établissement de relations apaisées entre les deux pays.

 

La fin d’une politique obsolète et contreproductive

 

Le 17 décembre 2014, lors une allocution télévisée, Obama a informé l’opinion publique étasunienne et mondiale de sa décision de rétablir les relations diplomatiques avec La Havane : « Aujourd’hui, les Etats-Unis d’Amérique changent leur relation avec le peuple de Cuba et il s’agit du changement le plus significatif de notre politique depuis plus de 50 ans ».

Le Président étasunien a fait un constat lucide au sujet de la politique étrangère de Washington. En persistant à appliquer des mesures anachroniques – qui datent de la guerre froide –, cruelles – car elles affectent les secteurs les plus fragiles de la population cubaine – et contreproductives – car l’objectif de renverser le gouvernement cubain n’a pas été atteint –,  Washington a suscité la condamnation unanime de la part de la communauté internationale. « Nous allons mettre un terme à une approche obsolète qui a échoué pendant des décennies à promouvoir nos intérêts. Nous allons commencer à normaliser les relations entre nos deux pays », a déclaré Barack Obama.

L’hostilité vis-à-vis de Cuba a complètement isolé les Etats-Unis sur la scène internationale. Lors de la réunion annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies en octobre 2014, pour la 23ème année consécutive, 188 pays ont voté contre les sanctions imposées à la population cubaine. De la même manière, les Etats-Unis sont le seul pays du continent américain à ne pas disposer de relations diplomatiques et commerciales normales avec Cuba. L’Amérique latine, très sensible à la question cubaine, a également exprimé sa volonté d’intégrer l’île au prochain Sommet des Amériques en avril 2015 au Panama, menaçant même de boycotter la rencontre en cas de nouvelle exclusion de La Havane.

Obama a rappelé cette réalité : « Aucune nation ne nous a rejoint dans l’imposition de ces sanctions [et] ni le peuple américain ni le peuple cubain ne tirent profit d’une politique rigide qui est ancrée dans des évènements qui ont eu lieu avant que la plupart d’entre nous soyons nés. […] J’ai donc décidé de placer les intérêts de nos deux peuples au cœur de notre politique. […] Après tout, ces 50 dernières années ont montré que l’isolement n’a pas marché. Il est temps d’adopter une nouvelle approche ».

Selon la Maison-Blanche, « la politique américaine vis-à-vis de Cuba a isolé les Etats-Unis de ses partenaires régionaux et internationaux, a limité [la] capacité à influencer des issues à travers le continent américain, et a empêché l’utilisation de toute une série d’instruments disponibles pour les Etats-Unis afin de promouvoir un changement positif à Cuba ». John Kerry, secrétaire d’Etat, a partagé ce point de vue rappelant que « non seulement cette politique a échoué […], mais elle a également isolé les Etats-Unis au lieu d’isoler Cuba».

 

Rétablissement du dialogue et assouplissement des sanctions économiques

Washington a donc décidé de rétablir les relations diplomatiques avec Cuba, qu’il avait unilatéralement rompues en 1961. Roberta Jacobson, sous-secrétaire pour l’hémisphère occidental d’Etat, se rendra en janvier 2015 pour formaliser l’ouverture d’une ambassade dans la capitale cubaine. Les deux nations ont exprimé leur volonté de collaborer sur des sujets tels que la santé, l’immigration, la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue ainsi que la mise en place d’une réponse commune face aux catastrophes naturelles. « J’ai hâte d’être le premier secrétaire d’Etat depuis 60 ans à effectuer une visite à Cuba », a souligné John Kerry dans un communiqué.

Washington a également décidé de revoir sa liste de pays qu’il considère comme soutenant le terrorisme international, dont Cuba fait partie depuis 1982. Obama répond ainsi à la demande de la communauté internationale et de plusieurs congressistes étasuniens qui jugent cette inclusion arbitraire alors que la médiation de La Havane dans le processus de paix en Colombie est saluée dans le monde entier.

La Maison-Blanche a également décidé d’assouplir les restrictions aux voyages des citoyens étasuniens à Cuba. Si les séjours touristiques ordinaires restent pour l’instant interdits, les déplacements culturels, religieux, académiques, scientifiques, sportifs, sanitaires, humanitaires et professionnels seront favorisés et les visiteurs étasuniens pourront désormais utiliser leurs cartes de crédit à Cuba.

Par ailleurs, les transferts d’argent des citoyens étasuniens vers Cuba passeront de 500 dollars par trimestre à 2 000 dollars. De la même manière, les citoyens étasuniens seront autorisés à importer des biens de Cuba pour un montant de 400 dollars. Au niveau commercial, la gamme de produits exportables – limités aujourd’hui aux matières premières alimentaires – sera élargie à d’autres secteurs tels que le matériel de construction, les équipements agricoles et les télécommunications. Washington répond ainsi à une demande du monde des affaires étasunien qui souhaite investir un marché naturel qui se trouve  à peine à 150 kilomètres des côtes de Floride.

Les transactions financières en dollars seront facilitées et les institutions étasuniennes seront autorisées à établir des relations avec Cuba. Les entités étasuniennes installées à l’étranger pourront établir des liens commerciaux avec l’île et réaliser des transactions financières en dollars. De la même manière, l’article de la loi Helms-Burton de 1996 qui sanctionne d’une interdiction d’entrée de six mois dans les eaux territoriales étasuniennes tout bateau étranger se rendant à Cuba sera supprimée, si le commerce réalisé avec l’île est d’ordre humanitaire.

Le Président Obama a également lancé un appel aux législateurs étasuniens afin qu’ils adoptent les mesures nécessaires à la levée des sanctions économiques. En effet, depuis 1996, seul le Congrès est habilité à mettre un terme définitif à l’état de siège imposé à Cuba.

 

Réaction de La Havane et de la communauté internationale

Le Président cubain Raúl Castro s’est réjoui du rétablissement des relations bilatérales avec les Etats-Unis, rappelant que Cuba avait toujours affirmé sa volonté de résoudre pacifiquement les différends. « Depuis mon élection, j’ai fait part à plusieurs reprises de notre disposition à soutenir avec le gouvernement des Etats-Unis un dialogue respectueux, basé sur l’égalité souveraine, afin de traiter des thèmes les plus divers de façon réciproque, sans atteinte à la souveraineté nationale et à l’autodétermination de notre peuple », a-t-il déclaré. Il en a également profité pour saluer la décision du Président Obama qui « mérite le respect et la reconnaissance ». Néanmoins, il a rappelé que les sanctions économiques, « qui causent d’énormes dégâts humains » devaient être levées. « Nous devons apprendre l’art de vivre ensemble, de façon civilisée, avec nos différences », a conclu le Président Raúl Castro.

La communauté internationale a salué ce rapprochement historique entre Cuba et les Etats-Unis, qui met un terme à plus d’un demi-siècle de relations conflictuelles. Le Vatican a exprimé « sa grande satisfaction ». Ban Ki-Moon, secrétaire général des Nations unies, a félicité les deux présidents et a fait part de sa disposition « à aider ces deux pays à développer leurs relations de bon voisinage ».

L’Amérique latine a unanimement salué ce moment historique. Le Mercosur, par la voix de la présidente du Brésil Dilma Roussef, a félicité Washington et La Havane pour cette nouvelle « fantastique ». José Mujica, Président de l’Uruguay, a exprimé son émotion : « A l’échelle latino-américaine, cela ressemble à la chute du mur de Berlin, mais de l’autre côté. Dans l’histoire de l’humanité, les blocus commerciaux ont uniquement servi à faire du mal aux peuples mais n’ont jamais rien résolu». Cristina Fernández de Kirchner, présidente de l’Argentine, a rendu hommage au « peuple cubain et à son gouvernement pour avoir initié un processus de normalisation des relations avec les Etats-Unis avec une dignité absolue et sur un pied d’égalité ». Pour sa part, Nicolás Maduro, président vénézuélien, a souligné le « courage » de Barack Obama

L’Organisation des Etats américains a également exprimé sa satisfaction à Washington et à La Havane « pour avoir fait ce pas historique, si nécessaire et courageux, pour rétablir des relations rompues en 1961 ». José Miguel Insulza, son secrétaire général, a déclaré que « les mesures annoncées aujourd’hui ouvrent une voie de normalisation et il n’y aura pas de retour en arrière ». Il a exhorté le Congrès étasunien à adopter les mesures législatives nécessaires pour lever définitivement les sanctions économiques.

 

En répondant à l’appel de la communauté internationale et à l’opinion publique de son propre pays, Barack Obama a sans doute pris la décision la plus emblématique de ses deux mandats présidentiels et a réparé une anomalie d’un autre temps en rétablissant les relations avec Cuba. L’histoire se souviendra du Président Obama, non seulement comme étant le premier homme de couleur à accéder à la plus haute fonction, mais surtout comme celui qui aura accepté le rameau d’olivier tendu par Cuba et qui aura ouvert la voie à l’instauration de relations bilatérales constructives. Il est désormais temps pour les Etats-Unis de mettre un terme définitif à un état de siège économique imposé depuis 1960, de permettre aux touristes étasuniens de découvrir l’île, et d’accepter la réalité d’une Cuba différente – avec ses vertus et ses défauts – mais indépendante et libre de choisir son propre modèle de société.

 

*Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.


 



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