Les temps sont durs à Cuba : les transformations devront être profondes – Entretien avec Rogelio Polanco

Édité par Reynaldo Henquen
2023-03-07 16:12:31

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07 Mar 2023 KATRIEN DE MUYNCK

Cuba traverse actuellement une période extrêmement difficile. Comment cette île parvient-elle à tenir bon malgré tout ? Quels sont les défis sur le terrain et comment sont-ils relevés ? Nous avons posé nos questions à Rogelio Polanco, chef du Département idéologie du Parti communiste cubain.

Tous ceux qui suivent un peu ce qui se passe à Cuba savent que l’île traverse actuellement une période très difficile. Depuis plus de six décennies, le pays souffre de l’effet cumulatif d’un blocus économique et financier. Sous Trump, ce blocus a été renforcé de façon extrême.

L’île a en outre été frappée de plein fouet par le Covid, et le tourisme, l’une de ses principales sources de revenus, s’est arrêté. Et cela alors que Cuba doit faire face aux coûts élevés liés à la lutte contre la pandémie. Depuis lors, la crise économique qui s’est installée au niveau mondial est encore exacerbée par le conflit en Ukraine.

De plus, la nature a frappé sans pitié. L’été dernier, à Matanzas, la foudre a provoqué la destruction massive de l’un des plus grands dépôts de carburant du pays et l’ouragan Ian a fait un passage dévastateur dans la province de Pinar del Rio.

Nous aimerions savoir comment cette île socialiste parvient malgré tout à maintenir un esprit combatif chez ses habitants. Quels sont les défis dans ce domaine et comment sont-ils relevés ? Nous avons posé nos questions à Rogelio Polanco, chef du Département idéologie du Parti communiste cubain.

Le rôle du blocus

Cuba traverse une période très difficile. C’est l’un des rares pays socialistes qui tient bon. Quels sont les principaux problèmes et défis auxquels la société cubaine est confrontée sur le plan idéologique ?

Le monde traverse en effet une période exceptionnelle. L’impérialisme poursuit son combat contre le bien-être et la prospérité de la grande majorité de la planète. Ses politiques de droite soutenant l’exploitation, la guerre et la xénophobie continuent d’engendrer de lourds conflits.

Nous sommes témoins de contradictions criantes qui font peser de graves risques sur l’humanité. Nous vivons une époque où les idées fascistes, de droite et néolibérales gagnent du terrain et sont activement diffusées par les grandes multinationales de l’information. Et cela a également un impact ici à Cuba.

BNP Paribas a payé une amende de presque 9 millards, entre autres à cause de transactions avec Cuba.

Le gouvernement Trump a identifié toutes les manières par lesquelles notre pays reçoit des moyens financiers. Son objectif était d’empêcher ce financement par des mesures véritablement génocidaires et étouffantes.

Certaines d’entre elles visaient à rendre plus difficile l’approvisionnement de notre pays en carburant. Récemment, l’ancien secrétaire américain à la Défense a révélé qu’ils avaient envisagé des actions militaires pour empêcher les navires de carburant d’atteindre notre pays. C’est presque un acte de piraterie du 21e siècle.

De plus, quelques jours avant le départ de Trump, ils ont remis Cuba sur la liste des pays soutenant le terrorisme. Un véritable acte de revanchisme. Pendant 30 ans, Cuba a figuré injustement sur cette liste cynique. Alors que Cuba est elle-même victime du terrorisme.

L’île n’a jamais attaqué de pays, et encore moins le peuple ou le gouvernement des États-Unis. Au cours du dernier mandat du président Obama, Cuba avait été retirée de cette liste. Le fait de nous remettre sur cette liste restreint la capacité des banques, des gouvernements et des entreprises à effectuer des transactions.

Comme nous le savons tous, le système financier international est entièrement dominé par les États-Unis et les pays occidentaux. Forcément, Cuba ne peut donc pas effectuer de transactions en dollars américains, la principale devise internationale. Les banques interdisent toute transaction ayant Cuba comme destination ou comme source, ou même portant la mention « Cuba ».

Par conséquent, Cuba ne peut effectuer aucune transaction par le biais du système financier international. Toutes les banques essaient de se conformer aux règles du département du US Treasury (Trésor des États-Unis). C’est une preuve de la nature extraterritoriale du blocus.

Pouvez-vous expliquer pourquoi vous l’appelez extraterritoriale ?

Extraterritorial, c’est quand un pays prend des décisions qui affectent un autre pays ou des entités en dehors de son territoire. C’est totalement illégal. Mais les banques sont très prudentes en raison des sanctions. Certaines banques européennes ont déjà payé des millions de dollars de sanctions imposées par le département du Trésor des États-Unis pour avoir effectué des transactions avec Cuba.

BNP Paribas a payé une amende de presque 9 millards, entre autres à cause de transactions avec Cuba.

Le gouvernement Trump, et le gouvernement Biden qui ne fait que poursuivre l’essentiel des mesures coercitives à l’encontre de Cuba, ont tout fait pour lui couper les vivres. Cela a entraîné notamment une campagne contre le tourisme à Cuba ainsi qu’une campagne perverse contre les médecins cubains qui dispensent des services dans d’autres pays.

Ils ont prétendu que ces médecins étaient contraints de le faire, et ils ont fait pression sur certains pays pour qu’ils cessent de coopérer avec Cuba. À cause de cela, nous avons perdu d’importantes recettes provenant de notre secteur de la santé.

En d’autres termes, au cours des cinq années sous le gouvernement de Trump et jusqu’à aujourd’hui avec le gouvernement de Biden, le blocus contre Cuba n’a fait que se renforcer. Pendant la pandémie, ces politiques se sont avérées plus opportunistes et cruelles que jamais, car elles nous ont empêchés d’accéder aux médicaments, aux respirateurs et aux autres fournitures de base nécessaires pour alléger les effets de la pandémie.

Impact de la pandémie

Comment Cuba a-t-elle fait face à la pandémie de Covid-19 dans ces conditions ?

Nous avons dû compter sur nos propres capacités pour combattre la pandémie. Cela n’a pu se faire qu’en concentrant tous les efforts du pays sur cet objectif. Grâce à l’idée visionnaire de Fidel de développer nos propres forces, nous avons réussi à fabriquer nos propres vaccins. Seuls les efforts remarquables de notre peuple ont permis de maîtriser la pandémie.

Des médecins cubains administrent des vaccins dans un camp de réfugiés haïtiens – ONU – CC 2.0

 

Pour de nombreux pays aujourd’hui, cela reste un vœu pieux. Car pendant la pandémie, les injustices du système capitaliste international se sont accentuées. Certains pays ont, à plusieurs reprises, accumulé plus de vaccins que nécessaire, ce qui a entraîné la perte de vaccins en raison de l’expiration de leur durée de conservation. Jusqu’à aujourd’hui, la distribution des vaccins pour faire face à la pandémie mondiale a été inégale.

 

Continuité contre déstabilisation

Tout cela a-t-il causé ou exacerbé des problèmes internes du pays ?

En interne, les défis sont considérables. Cuba est dans une période de transfert progressif et ordonné des postes clés et des responsabilités des dirigeants politiques de la révolution. Une nouvelle génération a été formée. L’impérialisme a longtemps attendu ce moment pour réussir son coup.

Dans les premières années de la révolution, les ennemis de Cuba ont essayé à plusieurs reprises d’éliminer physiquement nos principaux dirigeants. Des centaines de tentatives d’assassinat contre Fidel Castro et d’autres dirigeants de la révolution ont échoué.

Puis ils ont opté pour ce qu’ils ont appelé cyniquement la « solution biologique » : attendre la mort de nos leaders historiques. Ils comptaient sur l’idée que la continuité ne serait plus possible. Pourtant, aujourd’hui, de nouvelles générations de Cubains continuent la lutte.

Cela montre ce que notre peuple continue de défendre depuis des décennies. Cela montre également que notre révolution répond à une nécessité historique. Bien sûr, le rôle de nos dirigeants a été essentiel pour approfondir et faire progresser la révolution, mais celle-ci est en même temps le produit de la participation consciente et active de tout un peuple. Autrement, on ne pourrait pas expliquer sa pérennité.

Aujourd’hui, nous sommes effectivement confrontés à de graves problèmes économiques. Ils sont le résultat de la situation économique internationale et du renforcement du blocus, mais aussi des problèmes qui découlent des transformations économiques que nous effectuons au sein de notre société.

Cuba dispose aujourd’hui de ressources financières très limitées pour son développement futur. Nous n’avons accès à aucun crédit, quel qu’il soit, que ce soit celui des organisations internationales ou le crédit commercial.

Aucun pays ne peut se développer s’il n’a pas accès à des ressources financières. Le blocus a également rendu de plus en plus difficile l’accès au commerce, aux investissements étrangers et au tourisme international.

Dans ce cadre, les États-Unis mènent une campagne de communication politique massive de plusieurs milliards de dollars pour déstabiliser notre pays. Ils ont monopolisé les sociétés transnationales de l’information et notamment les grandes plateformes algorithmiques dans l’espace public numérique.

Aujourd’hui, celles-ci contrôlent la quasi-totalité du flux d’informations généré dans le monde. Par l’intoxication médiatique et les opérations de communication high-tech, elles tentent de déstabiliser notre société.

Leur objectif est ce qu’elles appellent une « explosion sociale ». En fait, il s’agit de générer le chaos et la violence. Elles veulent monter une partie de notre peuple contre les autorités et les forces de l’ordre pour pouvoir ensuite mener des campagnes sur les violations des droits de l’homme et de la démocratie.

Plusieurs théoriciens décrivent cette méthode comme faisant partie d’une guerre hybride, qui utilise différents éléments de nature politique, communicationnelle, numérique et diplomatique pour parvenir à un changement de régime.

Par le biais d’actions prétendument non violentes ou citoyennes, elles cherchent à provoquer le chaos, puis à provoquer une intervention étrangère. C’est ainsi qu’elles s’y prennent pour renverser les gouvernements qui ne leur conviennent pas.

Parce que tel est leur objectif lorsqu’elles essaient de susciter la subversion politique contre Cuba et contre d’autres pays amis qui tentent de développer des processus alternatifs, opposés ou contre-hégémoniques aux actions de l’impérialisme.

Dans ce contexte, quels sont, selon vous, les principaux défis pour Cuba ?

Les principaux défis d’un point de vue idéologique concernent la capacité de notre peuple à faire face à ces actions subversives. Nous devons renforcer l’éducation politique à tous les niveaux afin que la population comprenne les actions de notre gouvernement.

Fidel Castro, avec en arrière plan José Martí, qui s’est battu pour
l’indépendance de Cuba à la fin du 19e siècle.

C’est une condition préalable pour soutenir le processus de développement et la poursuite de la construction socialiste de notre pays. Tous nos efforts visent à renforcer nos valeurs, notre identité nationale, notre culture et les fondements de notre idéologie. Celle-ci a comme base les idées de José Martí, de Fidel Castro, le marxisme et le léninisme.

Depuis les États-Unis, on tente de mettre en place un processus de colonisation culturelle. On essaie constamment de présenter le rêve étasunien ou le capitalisme comme la seule voie de développement. Ces actions subversives sont dirigées contre nos symboles, nos dirigeants et notre histoire.

L’impérialisme tente de semer la division parmi notre peuple en diffusant des fake news ou en faisant croire que Cuba ou le socialisme ne sont pas viables. Pour cela, des groupes de réflexion, des universités et d’importantes écoles de pensée dans les domaines culturel, philosophique et idéologique sont mis en œuvre.

C’est ainsi qu’on tente d’influencer l’esprit et le cœur de nos concitoyens de diverses manières. La cible principale de cette action subversive est notre jeunesse.

C’était leur cible depuis le début. Les leaders historiques devaient être anéantis, par destruction physique ou morale. On supposait que les nouvelles générations, qui n’avaient pas participé au processus révolutionnaire, ne seraient pas en mesure de poursuivre ce processus.

Elles seraient affaiblies ou corrompues et ne seraient donc pas assez fermes dans leurs convictions pour soutenir la révolution. Elles finiraient par succomber sous la pression des pénuries et des contraintes matérielles, face à l’avalanche de subjectivité et aux symboles de l’idéologie capitaliste.

C’est pourquoi les gouvernements étasuniens et leurs agences sont si intéressés à influencer les jeunes.

Les jeunes n’ont pas la vie facile à Cuba aujourd’hui. Que fait Cuba pour garder les jeunes sur la voie de la révolution ?

Notre objectif dans cette phase historique est de renforcer notre base idéologique. Cela implique de renforcer mais aussi de modifier en profondeur notre travail idéologique et politique.

Ces changements doivent être profonds. Nous devons préparer les nouvelles générations à ces défis mieux que nous ne l’avons fait jusqu’à présent. Le parti communiste joue un rôle clé dans ce domaine.

L’année dernière, nous avons tenu notre 8ème congrès. Nous avons décidé de donner la priorité à la lutte économique, à la lutte idéologique et à la lutte pour la paix comme missions fondamentales.

La constance idéologique doit être fondée sur la capacité à comprendre la réalité. Nous devons faire un meilleur travail de sensibilisation auprès de notre population. Certaines méthodes de travail de notre parti, de notre jeunesse communiste, de nos organisations de masse et sociales et de l’ensemble de notre système politique ne sont pas assez efficaces.

Il faut une transformation en adéquation avec la nouvelle réalité, où l’espace public numérique et l’influence des médias et de l’information en général deviennent des éléments essentiels dans la formation de nos jeunes et, plus largement, de toute la population.

C’est pourquoi le Parti a décidé de lancer un programme de transformation du travail idéologique et politique dans plusieurs domaines clés. Premièrement, nous devons mieux articuler les forces révolutionnaires. C’est le seul moyen de contrer les actions déstabilisatrices et subversives de l’impérialisme étasunien.

Nous devons donc développer une meilleure coordination et aligner nos structures politiques et sociales. Cela nous permettra d’agir de manière conjointe et mieux organisée, avec des méthodes mieux en adéquation avec notre réalité.

Les questions culturelles et éducatives sont cruciales. Nous devons renforcer l’ensemble de notre système éducatif, mais aussi consolider les valeurs des nouvelles générations. Nous devons affermir le rôle de l’enseignant et le rôle de l’école en tant que centre culturel fondamental de la société.

Renforcer le rôle de la culture dans son expression la plus large, la culture en tant que culture générale intégrale, comme l’a enseigné Fidel. Nous devons renforcer les institutions chargées de générer des idées et de créer notre identité nationale.

Nous pouvons être fiers de notre développement culturel dans de nombreux domaines malgré les tentatives impérialistes de nous détruire en tant que nation.

Il existe notamment un domaine qui requiert toute notre attention : celui de la communication et de la technologie. L’internet, les réseaux sociaux et l’espace public numérique permettent un nouveau paradigme de communication qui non seulement touche les masses à l’échelle mondiale, mais qui peut aussi influencer directement chaque individu.

La capacité des plateformes algorithmiques mondiales à influencer les goûts, les intérêts et les désirs de chacun à travers le monde grâce au big data est impressionnante.

Cuba est-elle capable de neutraliser la guerre des réseaux sociaux contre l’île ?

Nous devons renforcer notre capacité à contrer cette campagne de déstabilisation. Nous devons faire comme les combattants de notre guerre d’indépendance et comme l’armée rebelle de la Sierra Maestra : récupérer l’arme de l’ennemi, apprendre à s’en servir et l’utiliser à nos propres fins.

Nous devons apprendre à travailler avec les réseaux sociaux. Leur utilisation manipulée contre les intérêts de nos pays doit être dénoncée.

Cela demande une souveraineté technologique et une coopération internationale. Nous devons établir une législation internationale avec tous les pays subissant l’impact néfaste de ces technologies afin de limiter leur utilisation dans les guerres et les conflits internationaux.

Notre peuple fait aujourd’hui déjà beaucoup pour s’assurer que ces technologies de l’information et de la communication soient utilisées à des meilleures fins que celles pour lesquelles elles ont été conçues par l’impérialisme, qui s’en sert pour confirmer l’idéologie dominante des États-Unis et de l’Occident.

Devons-nous également passer à la vitesse supérieure sur le plan économique ?

En effet, il est urgent de réformer notre économie, malgré le blocus. Pour générer la prospérité que notre peuple mérite, et dont il a si désespérément besoin. Pour ce faire, nous ne pouvons compter que sur l’ingéniosité et les capacités de notre peuple.

Nous aurons besoin d’innovation et de créativité. Aussi difficile que cela soit, nous devrons surmonter le blocus et générer nos propres capacités de production.

Nous utilisons la science, l’innovation et le talent que la Révolution nous a permis de développer pendant tant d’années pour accroître notre capacité économique.

Nous avons décidé d’actualiser le modèle de développement économique et social cubain. Un plan national de développement économique et social à l’horizon 2030 a été élaboré.

Nous allons opérer des changements majeurs dans plusieurs domaines de notre économie. Ils nous permettront de développer à la fois nos entreprises publiques socialistes et de nouveaux acteurs économiques. Cela inclut des formes privées de gestion, mais tout en maintenant une identité sociale socialiste.

Il ne s’agit pas de remettre en cause notre projet national, mais d’augmenter les possibilités d’emploi et la contribution économique d’autres formes de gestion. Parce que la production d’aliments et de médicaments doit augmenter et que l’innovation dans les domaines les plus divers de notre économie et de nos services est primordiale.

En outre, nous devons continuer à renforcer nos acquis sociaux fondamentaux : l’éducation, la santé, la sécurité sociale, la culture, le sport. Ce sont les bases de notre socialisme.

Nous faisons tout avec un haut degré de participation démocratique et de contrôle populaire. Le gouvernement travaille avec de nouvelles structures basées sur la nouvelle Constitution qui a été adoptée à la majorité à la suite d’un large débat populaire.

Nous intégrons de nouveaux droits et de nouvelles structures dans les lois afin de rendre la participation des citoyens plus efficace. Cuba veut briser l’asphyxie économique et le siège médiatique de l’impérialisme en exaltant la démocratie, la participation, le contrôle populaire et le socialisme.

C’est le seul moyen pour parvenir à relever les défis. Cela nécessitera l’unité nationale, un haut niveau de sensibilisation et des efforts importants de la part de chacun. Nous sommes convaincus que les dirigeants actuels auront le soutien de l’immense majorité de notre peuple.

Le défi avec les jeunes est majeur. De nombreux jeunes émigrent, cela ne signifie-t-il pas qu’ils ne voient plus de perspectives dans leur propre pays ?

Le gouvernement étasunien a utilisé à plusieurs reprises la question de la migration pour déstabiliser Cuba et présenter le socialisme cubain comme un échec.

14 000 enfants âgés de 3 à 17 ans ont été enlevés à Cuba sans leurs parents de novembre 1960 à octobre 1962.

Pour stimuler la migration, l’île bénéficie de possibilités d’immigration exclusives qui ne sont accordées à aucun autre pays d’Amérique latine.

La loi d’ajustement cubain de 1966, par exemple, établit que tout Cubain arrivant aux États-Unis est autorisé à entrer dans le pays et ce, sans même avoir à présenter sa carte d’identité. Après un an, il ou elle peut rester dans le pays légalement.

La question de la migration a été source de conflits à plusieurs reprises. Cuba, quant à elle, a décidé d’assouplir ses lois sur l’immigration. Tout citoyen cubain qui souhaite se rendre dans un autre pays, y séjourner pendant une certaine période ou même s’y installer, est en droit de le faire.

Notre socialisme n’est possible que sur la base de la participation volontaire de ceux qui veulent faire avancer notre société et vivre à Cuba, ou vivre à l’étranger tout en gardant des liens avec le pays.

Actuellement, des milliers de Cubains vivant en dehors de Cuba entretiennent une bonne relation avec l’île et y retournent régulièrement.

De nombreux Cubains à l’étranger participent même activement à des actions de solidarité avec leur pays d’origine. Nous nous dirigeons vers ce que les experts en sciences sociales et en démographie appellent la migration circulaire.

Cela signifie qu’il devient de plus en plus ordinaire pour les citoyens cubains de séjourner dans un autre pays pendant une certaine période avant de retourner dans leur pays d’origine. Mais cela est rendu compliqué par le gouvernement étasunien.

Récemment, les États-Unis ont fermé leur consulat à La Havane, obligeant les Cubains à se rendre dans un pays tiers pour obtenir un visa pour aller aux États-Unis.

Le gouvernement étasunien a également restreint l’octroi de visas. Ce faisant, ils compliquent les relations entre les Cubains vivant à Cuba et les Cubains vivant sur le sol étasunien. En parallèle, en facilitant l’entrée de tout Cubain arrivant illégalement sur le sol étasunien, ils encouragent la migration par des voies non légales, désordonnées et peu sûres.

Chaque incident qui se produit dans ce contexte est amplifié dans les médias. C’est très pervers. Cela ne peut être imputé qu’au fait qu’ils sont dominés par un groupe politique, notamment en Floride qui exerce une influence néfaste sur les décisions du gouvernement, en raison de ses prétendus intérêts électoraux ou politiques vis-à-vis de Cuba.

Ces enjeux politiques futiles affectent ainsi les relations entre les membres d’une même famille, et plus largement, la nation entière. La question de la migration entre Cuba et les États-Unis a été constamment manipulée par les États-Unis depuis la révolution.

Récemment, cette manipulation a atteint un nouveau niveau en raison de la fermeture du consulat et du fait que le nombre de visas convenu dans les accords de migration entre les deux pays est restreint depuis plusieurs années. (des visas sont à nouveau délivrés depuis début janvier 2023, ndlr).

À cela se sont ajoutées deux années de pandémie, pendant lesquelles les vols internationaux et la migration vers des pays tiers ont également été restreints. Les États-Unis ont en outre réduit le nombre de vols depuis leur territoire, et ont imposé des exigences exceptionnelles aux compagnies aériennes et aux agences de voyage afin de susciter le mécontentement à Cuba.

Il s’agit en fait de l’application méthodique de ce qu’on appelle le mémorandum de Lester Mallory, C’est un diplomate étasunien qui, en 1960, a écrit à ses supérieurs quelle politique le gouvernement devait adopter vis-à-vis de Cuba pour atteindre ses objectifs.

Dans le mémorandum, il affirme qu’il n’y a aucune opposition politique à Cuba et que la majorité de la population soutient le gouvernement, a fait valoir Mallory. Il recommande de tout mettre en œuvre pour réduire le pouvoir d’achat des Cubains afin de créer du mécontentement, voire d’engendrer la faim et le désespoir, dans le but de renverser le gouvernement.

Cette approche fait aujourd’hui d’autant plus de dégâts que les États-Unis disposent du pouvoir des médias en plus de l’instrument économique du blocus.

Ce sont avant tout les jeunes qui veulent migrer, et c’est pourquoi les États-Unis en ont fait leur cible principale. Pour provoquer l’émigration, ils cherchent à amplifier les problèmes causés par le vieillissement de la population.

Parce que même si c’est un processus que nous avons vu précédemment dans les sociétés développées, il affecte aussi Cuba. Cela est dû à l’excellence de nos installations médicales et sociales. Le vieillissement de la population exige que l’on consacre davantage de ressources au secteur des soins de santé.

Un groupe restreint de personnes économiquement actives doit générer un pourcentage plus important du produit intérieur brut pour assurer le bien-être des personnes âgées qui ne sont plus économiquement actives. Si en parallèle, la migration des jeunes et des personnes hautement qualifiées est encouragée, l’économie du pays s’en trouve naturellement impactée.

Nous devons donc veiller à ce que les jeunes cherchent à s’épanouir personnellement et professionnellement à Cuba. Ils doivent pouvoir réaliser leur projet de vie personnelle autant que possible ici, dans leur pays d’origine. Sans toutefois compliquer toute possibilité de migration, car cela reste un droit.

L’objectif doit être de permettre aux jeunes de développer leurs capacités professionnelles et individuelles, pour contribuer à la société et servir l’intérêt collectif.

Récemment, le gouvernement révolutionnaire a activement encouragé le développement de politiques gouvernementales axées sur la jeunesse. Des groupes de travail gouvernementaux ont été créés pour présenter, avec la participation d’experts, des projets à court terme en matière d’emploi, de formation continue, de logement et d’autres services spécifiquement destinés aux jeunes.

Les jeunes eux-mêmes jouent un rôle essentiel à cet égard, le but étant de les inclure davantage dans la prise de décision. Nous devons nous assurer qu’ils soient de plus en plus représentés dans tous les secteurs de la vie économique et sociale du pays.

Que leurs considérations, leurs avis et leurs propositions soient pris en compte. Que les postes de direction dans les entreprises publiques socialistes leur soit plus facilement accessibles. Qu’ils soient davantage représentés dans les principaux organes de décision du pays.

Nous devons passer à la vitesse supérieure en ce qui concerne nos jeunes et, en particulier, les personnes ayant une formation universitaire. Voilà les grands défis pour la jeunesse. Nous sommes conscients des améliorations qu’il va falloir réaliser.

Utilisez-vous les réseaux sociaux pour atteindre les jeunes ?

Nous en sommes encore à nos balbutiements. Nous sommes en plein processus d’apprentissage en ce qui concerne l’espace public numérique. N’oubliez pas qu’à cause du blocus de l’information et de la communication, Cuba n’a eu accès que très tardivement à tous les développements technologiques. Cela a limité notre propre capacité à générer du contenu et à comprendre cet écosystème de communication.

Nous avons eu accès à l’internet sur les téléphones mobiles il y a moins de quatre ans. Aujourd’hui, plus de 7 millions de Cubains sur 11 millions y ont accès. L’accès à toute nouvelle technologie s’est considérablement accéléré.

Simultanément, on se rend compte qu’il n’est pas possible de maintenir une dichotomie entre l’espace physique et l’espace numérique. Le parti et les organisations sociales en sont également conscients.

Nous devons faire comprendre aux gens que les deux espaces entretiennent aujourd’hui une relation dialectique. Tout ce qui se passe dans l’espace physique doit avoir une corrélation dans l’espace public numérique. Autrement, nous nous excluons nous-mêmes d’un domaine essentiel pour le développement humain.

Une grande partie des connaissances, de l’information et des processus technologiques passent aujourd’hui par la sphère numérique. Et cette tendance va s’accentuer.

Si nous parvenons à accélérer la transition numérique de la société, nous aurons une économie, des processus technologiques et des processus sociaux plus efficaces.

La pandémie nous a obligés à passer rapidement à des environnements d’enseignement et d’apprentissage virtuels. Nous y sommes arrivés, malgré les problèmes de connexion et d’accès aux technologies pour une grande partie de la population.

La transformation numérique de la société progresse, mais moins vite que ce dont nous aurions besoin. Aujourd’hui, nous pourrions être bien plus performants dans divers domaines de l’économie et des prestations de services si nous avions pu progresser plus rapidement dans les processus de transition numérique.

Mais nous nous améliorons chaque jour. Les nouvelles générations sont, comme on dit chez nous, nées avec une puce dans leur ADN. Ces enfants du numérique vont prendre le pas sur la génération née à l’ère de l’analogique.

Les leaders de la révolution encouragent cette transition. C’est pourquoi je suis convaincu que, très bientôt, nous serons en mesure de générer du contenu et d’amorcer des changements majeurs dans la sphère numérique.

Cela nécessite une souveraineté technologique, le développement de nos propres applications et de nos propres plateformes. Il faudra également que nous redoublions tous d’efforts pour accélérer ces processus de transition, sur le plan politique, économique, social et culturel.

C’est pourquoi le gouvernement a fait de l’informatisation et de la transformation numérique les piliers de la gouvernance du pays. De son côté, le Parti a mis en place un groupe pour assurer sa propre transition numérique.

Nous ne pouvons pas promouvoir celle-ci dans tous les domaines de la société si le Parti, reconnu dans la Constitution comme une force politique de premier plan dans la société et l’État, est lui-même à la traîne. Nous devons l’opérer dans les plus brefs délais.

Nos processus politiques doivent également considérer la transition numérique comme un élément essentiel pour accroître l’efficacité du travail sur les plans politique et idéologique. Cela vaut également pour notre organisation de jeunesse, qui entend adopter rapidement ces codes numériques.

Nous disposons déjà de quelques expériences intéressantes grâce à nos jeunes qui utilisent des applications et des plateformes numériques. L’objectif est de développer de plus en plus d’applications cubaines, comme par exemple des applications de messagerie instantanée, audiovisuelles ou de jeux vidéo. Avec nos propres formats, reflétant notre esthétique et nos valeurs.

Le monde numérique nous offre de larges possibilités d’exploitation et de création.

Nous devons générer du contenu de manière créative. La consommation de contenus audiovisuels par les nouvelles générations est exponentielle. Ceux-ci sont devenus des vecteurs de valeurs, d’essences et d’identités. C’est beaucoup plus rapide que de lire un livre.

Bien sûr, nous continuons à encourager la lecture. Mais tous ces nouveaux contenus numériques jouent aujourd’hui un rôle essentiel dans la construction de notre savoir et de nos valeurs. Nous devons nous approprier ce format.

L’année dernière, le Congrès du Parti a défini les trois piliers essentiels du travail du Parti et du gouvernement : l’informatisation, la communication et la science, et l’innovation. Les trois sont interconnectés.

Un projet de loi où le peuple a voix au chapitre

Nous devons également faire un bond qualitatif en termes de communication numérique. Nous venons de publier un projet de loi relatif aux réseaux sociaux. Il s’agira de la première loi relative à la communication sur les réseaux sociaux dans l’histoire révolutionnaire du pays.

Ce projet de loi sera amendé par des spécialistes du sujet, et la population pourra également donner son avis. Cette année encore, la loi sera soumise au vote de l’Assemblée nationale. Elle fournira un cadre juridique pour la politique de communication numérique du gouvernement au niveau institutionnel, médiatique et communautaire.

En outre, nous sommes en train de créer un Institut pour la Communication sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire une instance gouvernementale qui dirigera les processus de communication sociale dans le pays. À tous les niveaux et dans toutes les institutions, les autorités du pays devront être responsables de cette communication, car il s’agit d’un outil de gestion stratégique.

Nous devons – y compris le Parti – dépasser nos limites en matière de développement des processus de communication au sein des organisations. La communication externe doit également être améliorée, non seulement vers les militants, mais aussi vers l’ensemble de la population. Cette tâche incombe à toutes les institutions et organes gouvernementaux, ainsi qu’aux organisations de masse.

La communication devient un instrument indispensable au travail politique. Nous devons mieux préparer notre personnel sur ce plan.

Nous développons notre expérience pour transformer le modèle de gestion économique, éditorial et technologique de nos réseaux. Ceux-ci doivent mieux refléter la réalité de Cuba. Ils doivent également être plus forts économiquement pour relever les défis technologiques du nouvel écosystème numérique.

Nous améliorons également la formation de nos journalistes, en offrant aux futurs étudiants en journalisme une formation préalable dès la deuxième année, qui leur permettra d’entamer leur carrière mieux préparés, tant sur le plan professionnel qu’idéologique.

Il s’agit de différentes mesures que nous prenons actuellement pour stimuler et améliorer la communication numérique, en termes d’informatisation, de transition numérique, de communication et de science, d’innovation et de recherche d’un plus grand nombre d’experts dans différentes disciplines pour participer aux décisions du gouvernement et du Parti. Cela donnera très vite des résultats qui permettront à nos organisations de mieux agir.

Rester amoureux

Connaissez-vous Vijay Prashad ? Selon lui, la lutte idéologique seule ne suffit pas. Il faut aussi une lutte émotionnelle.

Je suis tout à fait d’accord avec cela. En effet, nous devons tenir compte de nos émotions. On ne peut enthousiasmer l’homme, le faire tomber amoureux ou le captiver uniquement au moyen de théories de la réflexion, de la pensée et de l’action. Il faut prendre en considération la subjectivité humaine, les émotions.

Aujourd’hui, une grande partie du contenu généré sur les réseaux sociaux comporte une forte composante d’émotivité, et parfois négative, car elle engendre de la haine et de l’agressivité. Nous devons toucher l’âme, le cœur et les sentiments pour que les gens bougent et participent activement.

C’est ce qu’on fait quand on tombe amoureux : on essaye d’éveiller les sentiments de l’autre, de susciter son engouement. Eh bien, nous devrions faire de même en politique. Sans bien sûr devoir recourir à la manipulation, cela doit se faire naturellement.

Nos organisations doivent également adopter cette approche et permettre aux meilleurs militants, intellectuels, écrivains et réalisateurs d’apporter tout leur professionnalisme et leur talent à cet amour collectif.

Nous avons récemment vu des séries télévisées qui ont captivé une partie de la population, notamment les jeunes. Il suffit parfois d’une chanson, d’une musique, d’une danse, d’une pièce de théâtre ou de toute forme d’art et de culture pour susciter l’émoi.

Il ne faut pas oublier que la politique est aussi une affaire d’émotions. Il s’agit de captiver l’autre. C’est essentiel. Laisser cela de côté reviendrait à nier l’essence-même de l’homme. Nous devons donc nous aussi tomber amoureux et éveiller les sentiments des autres.

Le Che avait l’habitude de dire qu’un révolutionnaire est motivé par de grands sentiments d’amour. N’est-ce pas vrai ? Il s’agit de l’amour dans toutes ses manifestations. Nous restons donc amoureux.

 

Rogelio Polanco Fuentes (né en 1966) dirige le département idéologique du Parti communiste de Cuba. Il est membre du Secrétariat du Comité central et député. Il a fait des études de relations politiques internationales. Il a représenté Cuba au sein de l’Union internationale des étudiants et a été chef du département des relations internationales de l’Union des jeunes communistes. Il a été directeur du journal Juventud Rebelde et ambassadeur de Cuba au Venezuela. De 2019 à 2021, il a été recteur de l’Institut supérieur des relations internationales Raúl Roa García.

 

Katrien Demuynck est experte de Cuba et auteure.

 

Source Cubanismo



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